Figure du socialisme dans l’Eure, Alfred Recours est décédé

Aucune trace dans la voix. S’il fallait chercher les origines pieds-noirs d’Alfred Recours, ce n’était sûrement pas du côté de Robert Castel ou de Guy Bedos. Aux antipodes des grandes gueules et des clichés véhiculés par les rapatriés du showbiz, l’ancien maire de Conches ne gardait rien, en apparence, de l’Algérie de son enfance.

Si ce n’est peut-être la guerre d’indépendance et une douceur de vivre qui ont forgé les traits d’un humanisme qu’il partageait avec l’auteur de L’Étranger. Un brin British, un peu Tati, lorsque, pince-sans-rire, il déplaçait à grandes enjambées son mètre 85 dans les rues de Conches et d’Évreux, Alfred Recours était né à Mostaganem en mars 1945.

L’Eure au hasard d’une affectation

Pas de Coup de Sirocco ni de Grand pardon. À aucun moment dans son récit personnel, l’ancien rapatrié n’a évoqué de déchirure. Le bateau, la traversée, le couscous, les jujubes, et la nostalgie transfigurée par la communauté des exilés, ce n’était pas pour lui. Il l’a rappelé à plusieurs reprises. Le seul souvenir d’Algérie qu’il servait était politique.

Il a 13 ans, le 7 juin 1958, quand il assiste, avec son père communiste, au célèbre meeting du général de Gaulle à Mostaganem. « Mon père m’avait alors dit : ‘Tu es devant un grand homme’ ». La célèbre phrase du général, « Vive l’Algérie française » et son militantisme naissant au sein du Mouvement Fédéraliste Européen marquent la fin de son épisode algérien.

« J’ai été très tôt intéressé par la politique nationale, internationale puis locale, sensible aux notions d’équité, d’égalité, de fraternité. Mes valeurs sont celles de la laïcité, celles de la République » nous confiait-il, lors d’un entretien publié en 2020 dans La Dépêche d’Évreux, alors qu’il se retirait de la vie politique.

Un ancrage à gauche

Au début des années soixante, l’exil l’a d’abord conduit avec sa famille à Draguignan, puis à Marseille où s’installent ses parents. Étudiant à la fac d’Aix-en-Provence, il est président de la section de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF). Trotskiste alors que 68 pointe son nez, militant à la gauche de la gauche, il s’illustre aux côtés des étudiants en lettres puis participe à la fondation de la Ligue Communiste révolutionnaire (LCR). « Ce dont je ne vous félicite pas », s’amusera Sébastien Lecornu, en février 2022, au moment de lui remettre les insignes d’officier dans l’ordre national du Mérite.

Maîtrise d’Allemand en poche, Alfred Recours a choisi d’enseigner. Un choix décisif pour le futur baron du socialisme eurois qui le fait atterrir dans le département en 1969. Le voilà maître auxiliaire au collège de Brionne, à Verneuil, puis à Conches qu’il ne quittera plus.

En 1976, Alfred Recours adhère au Parti socialiste, devient adjoint de Paul Guilbaud un an plus tard, avant de lui succéder dans le fauteuil de maire en 1989, jusqu’en 2020.

Fabiusien avant de tourner la page d’une longue carrière politique, Alfred Recours avait rompu avec le PS pour adhérer à La République En Marche et soutenir la candidature d’Emmanuel Macron en 2017.

La mort d’un pionnier

Durant ces quelques décennies à Conches et dans l’Eure, il a été, au début des années 1990, l’un des pionniers de la création de l’une des premières intercommunalités de France. Élu au Conseil général dès 1992 (avec une pause entre 2001 et 2011), il a participé notamment à la création d’Eure Numérique.

Le très haut-débit, les rythmes scolaires, mais aussi l’environnement et la culture, ont été quelques-uns de ses chevaux de bataille, tout comme l’Europe. Lui qui était né à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale a toujours été un Européen convaincu, au point de fonder et de présider la Maison de l’Europe à Évreux.

Député de la deuxième circonscription de l’Eure à deux reprises, Alfred Recours a notamment été rapporteur du budget de la Sécurité sociale. On lui doit, entre autres travaux législatifs, une loi importante sur le statut des Musées de France, mais aussi un rapport sur les méfaits du tabagisme qu’il avait défendu, son éternelle clope au bord des lèvres…

Très investi dans sa commune, Alfred Recours est resté maire de Conches pendant 36 ans avant de passer la main à Jérôme Pasco. Il aura indéniablement marqué une ville réputée imprenable. Retiré dans sa maison, légèrement à l’écart du centre-ville, il gardait un œil avisé sur l’actualité locale et nationale. Et nombreux étaient ceux qui passaient encore le voir pour lui demander conseil. Affaibli par la maladie, il est décédé mardi quelques jours après avoir fêté ses 80 ans entouré de sa famille. Au terme d’une vie consacré aux autres.

La rédaction d’Eure Infos/La Dépêche adresse ses très sincères condoléances à sa famille et à ses proches.