Le 22 mars 2024, la journée s’achève dans un institut de beauté du 20ᵉ arrondissement de Paris. Les employées sont à leurs affaires, lorsque deux hommes font irruption dans l’établissement. Ils dégainent leurs téléphones. Sur l’écran, une carte siglée police. Ils viennent pour un contrôle. Les placards sont ouverts et les sacs des employées sont fouillés. Les drôles d’agents font la chasse aux billets de banque. Après cette récolte de talbins, ils se carapatent sans demander leur reste, sous le regard médusé des victimes. Elles viennent d’être flouées par ces voleurs déguisés.
Tout part d’un reportage TikTok
Cette razzia était la première d’une petite série. Les chasseurs d’espèces ont sévi dans quatre salons de massages et instituts de beauté avant d’être interpellés grâce à la vidéosurveillance. À chaque fois, les établissements étaient tenus par des membres de la communauté chinoise. Ce jeudi 10 avril 2025, âgés de 18 à 22 ans, ils sont cinq jeunes hommes à comparaître devant le tribunal correctionnel. Seul l’un d’entre eux, Rami C., a participé à l’ensemble des faits. Il est le « cerveau » de ce projet délictueux.
Tresses sombres, lunettes claires, le jeune homme à peine majeur est interrogé par la présidente. Elle veut comprendre d’où est venue cette idée saugrenue.
« J’ai regardé un reportage sur TikTok. Ça parlait de ce qui se cachait derrière les salons de massage. On s’est dit que ça pouvait être une aubaine », relate l’intéressé avec une surprenante franchise.
« Donc vous vous dites qu’il y a de la prostitution dans ces salons, et vous allez viser ces personnes-là ? », déduit la présidente.
« Oui, parce que l’argent ne serait pas déclaré. Et théoriquement, les victimes n’auraient pas déposé plainte », répond le jeune homme. Aujourd’hui, il le reconnaît, c’était une mauvaise idée.
Des cartes de police trouvées sur Google
Cet « Euréka » du larcin, le prévenu le partage avec ses amis. Le jour même du visionnage sur Tiktok, Rami C. et un premier complice s’organisent. Ils trouvent une photo de carte de police par une simple recherche d’images sur Google. « Il n’y avait même pas nos photos dessus », affirme le prévenu. Ils commettent les premiers faits relatés plus haut.
À la barre, le jeune homme l’assure, le maître mot de ces expéditions était « pas de violence ». Pourtant, de vols en vols, le code d’honneur semble de moins en moins respecté. Lors des deuxièmes faits survenus le 23 mars, la gérante, méfiante, tente d’appeler la vraie police. Elle argue s’être fait arracher son portable des mains et avoir été poussée par Rami C..
Une semaine plus tard, le 5 avril, on monte d’un cran. Venus à quatre, plusieurs des prévenus se jettent sur une employée d’un salon de massage proche de Pigalle. Cette fois-ci, les assaillants ne prennent même plus la peine de s’improviser gardiens de la paix. La victime allègue avoir été frappée au visage. À l’inverse, Rami C. maintient qu’aucun coup n’a été porté.
« J’étais sans-domicile à ce moment-là »
Interrogés, les complices reconnaissent tous les faits et leur gravité. Placement en foyer, chômage… Dans ce petit groupe de jeunes originaires de l’Essonne, les parcours de vie sont chaotiques. Pour ces existences difficiles à peine sorties de l’adolescence, la promesse d’argent facile était d’autant plus alléchante.
« J’étais sans-domicile à ce moment-là. Je travaillais à mi-temps et j’étais en grande difficulté financière », égrène l’un des complices impliqué dans deux vols.
À chaque expédition, un maigre butin de quelques centaines d’euros.
« Il n’y avait qu’à se baisser pour trouver du travail ! »
Ces profils n’émeuvent pas le procureur. Dans son réquisitoire, il dénonce « un passage à l’acte extrêmement facile » des prévenus. « Tout ça est d’un naturel assez désarmant. Ce qui ne plaide pas en leur faveur. Il y a un niveau de moralité au ras des pâquerettes ». Le magistrat se fait le porte-voix des victimes, choisies pour leur vulnérabilité : « À chaque fois qu’elles vont dans leurs commerces. Elles pensent à ce qu’il s’est passé ».
Le représentant de la société veut des peines lourdes. Pour Rami C. : un an de prison ferme avec mandat de dépôt. Les complices se voient requérir des peines allant jusqu’à six mois ferme, aménageables sous le régime de la semi-liberté. Face aux difficultés financières des prévenus, le procureur va même jusqu’à évoquer un taux de chômage très bas au moment des faits. « Il n’y avait qu’à se baisser pour trouver du travail ! », ironise-t-il. L’analyse socioéconomique de prétoire provoque une moue indignée sur le banc des avocats.
Cette indignation, elle se poursuit lors de plaidoiries de la défense. « Ces réquisitions m’ont cueilli, surpris et même terrassé », s’insurge Me Simon Olivennes, conseil de Rami C.. Les cinq avocats demandent des peines plus clémentes pour les prévenus, allant de l’amende au travail d’intérêt général (TIG). « Oui, voler quelques centaines d’euros à des magasins ce n’est pas bien. Mais ce n’est pas grave », ajoute Me Olivennes.
Le tribunal rendra son délibéré le 15 mai prochain.
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