« Ils sont indispensables », souffle Annick, entre deux gorgées de son expresso. Dans le Bar du Centre d’Yvré-le-Pôlin (Sarthe), flotte une douce odeur de café auquel il faut ajouter un autre parfum. Celui de la certitude. Les trois retraités attablés partagent ce constat : sans les deux frères Vieillepeau, il serait très compliqué d’avoir un rendez-vous chez un généraliste.
Le Dr Jean-Paul Vieillepeau, franco-costaricain, diplômé au Costa Rica, a remplacé le précédent médecin généraliste de la commune de 1 750 habitants en 2013, au terme d’un parcours administratif compliqué pour valider les équivalences de diplôme en France.
« On pensait que c’était automatique en France », nous explique Jean-Paul Vieillepeau. Non, il a bataillé trois ans.
Mais ici, il ne fallait pas s’arrêter à un seul toubib. Alors, dès 2014, la municipalité réfléchit à faire venir un autre médecin, le frère de Jean-Paul, Gérald Vieillepeau. Lui aussi est titulaire d’un diplôme costaricain. Il s’est finalement installé en août 2024, dans la maison pluridisciplinaire de santé.
🗳 Élections municipales 2026 : un dossier spécial des rédactions d’actu.fr
Cet article fait partie du premier épisode de notre dossier spécial consacré aux défis des maires de France, à l’occasion des élections municipales de mars 2026.
Dans ce premier épisode, « Déserts médicaux : un médecin à tout prix », les rédactions d’actu.fr explorent les solutions mises en place par les élus municipaux pour lutter contre la pénurie de médecins.
Un désert médical, un vrai
« On pensait que ce serait plus rapide », reconnaît François Boussard, président de la Communauté de communes Sud Sarthe. D’autant que l’on « sait qu’il manque des professionnels de santé » dans le département, appuie l’actuelle maire d’Yvré, Catherine Donné.
Dans le Sud-Sarthe, le coin regorge de jolies maisons, de belles églises romanes. « Chaque village a son patrimoine », expose fièrement François Boussard. N’importe quelle route offre la possibilité de voir une belle bâtisse.
Pour trouver un médecin, c’est une autre paire de manches. Bienvenue dans un désert médical. Un vrai, à 30 min au sud du Mans. Et à Yvré-le-Pôlin, pour faire venir un deuxième généraliste en août 2024, l’ancien maire Christian Lelarge a dû batailler. Un combat administratif.
Dans le bulletin municipal, on évoque neuf années de « travail acharné ». Les fruits de cette pugnacité, Christian Lelarge ne les connaîtra pas. Il est décédé brutalement le samedi 17 août 2024, en plein mandat. Le nouveau docteur, Gérald Vieillepeau, n’avait pas encore pris place.
« Monsieur Lelarge, il s’est battu à chaque réunion », se souvient Joël, ancien conseiller municipal du village voisin de Mansigné, qui profite d’un café au PMU d’Yvré après son rendez-vous chez le médecin.
« Une attache familiale »
L’histoire est romanesque, l’attente titanesque. Ces deux frangins médecins ont grandi et fait leurs études au Costa Rica. Attachés à la Sarthe, ils voulaient venir à Yvré. C’est rare, concède Marlène, une Paulinaise croisée dans un lotissement : « Les médecins ne veulent plus aller à la campagne. »
Alors, pourquoi Yvré, un bourg rural comme la France en compte des milliers ? 1 750 habitants, de belles maisons jaunes, une rue commerçante entourée de nombreux lotissements, une école primaire et maternelle. Assez pour convaincre ?
« Il y a une attache familiale », précise l’actuelle maire de la commune, Catherine Donné, qui nous reçoit dans son bureau, au rez-de-chaussée de la petite mairie située sur la place de l’église, au cœur du village.
Ce ne sont pas des opportunistes.
La famille des deux franco-costaricains est la bonne raison pour les frangins de s’installer dans le bourg. « Gérald, c’était la seule personne avec qui je voulais travailler », rigole Jean-Paul Vieillepeau. Surtout, les deux frères veulent s’inscrire dans la durée. Précieux pour Yvré.
Calvaire administratif
Mais la volonté ne suffit pas. Si Jean-Paul Vieillepeau a mis trois ans pour obtenir le droit d’exercer, son frère, Gérald aura eu le droit à neuf longues années de dossiers, d’enquêtes et de stages pour parvenir à s’installer dans la maison pluridisciplinaire de santé d’Yvré-le-Pôlin à la fin de l’été 2024. « On ne sait pas simplifier », déplore Catherine Donné.
ARS, Ordre des médecins… Christian Lelarge, le maire d’Yvré, a « poussé » partout. Une pression permanente pour faire bouger les choses.
Si la santé n’est pas une compétence municipale à proprement parler, il est « important de mettre en synergie les différents acteurs », pointe François Boussard, par ailleurs maire de Mansigné, village de 1 500 âmes dont les deux médecins sont partis à la retraite en décembre 2024.
Au contact permanent des habitants, les maires sont contraints à l’action. « Le maire est responsable de tout », commence Catherine Donné. « Surtout quand quelque chose ne va pas. » Coupure d’électricité ou de téléphone, voisin, médecin… Le seul interlocuteur, c’est le maire.
Christian Lelarge fait jouer son réseau
Alors, pour boucler l’arrivée de Gérald Vieillepeau, Christian Lelarge a sollicité l’appui du député du coin, Éric Martineau (MoDem), qui s’est enquis de faire passer le message au ministère de la Santé. Avec succès. « J’ai mis de l’huile dans les rouages », acquiesce modestement le parlementaire auprès d’actu.fr. « C’est à Christian qu’il faut rendre hommage. »
Deux médecins avec des diplômes étrangers exercent donc dans la commune. Et sans cette doublette, la situation pourrait être bien plus compliquée pour les habitants.
Dans les années 2010, « j’ai été deux ans sans médecin traitant », confie Marlène, questionnée alors qu’elle rentre des courses. Pendant cette période, la retraitée a dû se rendre régulièrement au Mans, 30 minutes de voiture, pour « profiter » du Service médical de proximité pour les patients dans le même cas.
Cette retraitée a dû longuement insister auprès du Dr Jean-Paul Vieillepeau, le seul généraliste du village à l’époque, pour finalement intégrer sa patientèle. « Heureusement qu’ils sont là », remercie-t-elle, satisfaite de la présence des deux frères.
Tout n’est pas réglé
Retour au Bar du Centre, où Annick commande un deuxième café, son petit chien sur les genoux. Cette retraitée habite à Oizé, commune située à quatre kilomètres à l’ouest.
De la maison de santé d’Yvré, elle en sort. Annick vient de prendre rendez-vous auprès de la secrétaire médicale. Au téléphone, c’est très compliqué. Actu.fr a essayé de joindre le standard. En vain. Bip Bip, ligne occupée. On ne pourra pas discuter avec les médecins le jour de notre venue. Finalement, Jean-Paul Vieillepeau nous rappellera un peu plus tard. Mais pas Gérald.
Au début, les docteurs se demandaient s’ils auraient assez de patients.
Une application de prise de rendez-vous en ligne vient d’être lancée, mais il sera toujours possible de trouver un créneau auprès du cabinet. « Le côté social, il faut le garder », insiste la secrétaire médicale.
Le Dr Jean-Paul Vieillepeau revendique 2 300 patients et confirme : « Notre venue, avec Gérald, ça a beaucoup aidé le coin. »
Les habitants des alentours viennent à la maison de santé
Maintenant, il faut parfois tout de même compter huit jours pour avoir un rendez-vous.
« Il y a de nouveaux clients, les habitants de Mansigné viennent ici », commente un retraité, casquette de Gavroche sur la tête, désireux de rester anonyme.
Les deux médecins de Mansigné, à dix kilomètres des deux docteurs Vieillepeau, ont cessé leurs activités à la fin de l’année 2024. Leur patientèle, comme Annick ou Joël, croisés dans la salle d’attente des frères puis rencontrés au troquet, s’est donc déportée logiquement vers Yvré.
Bon pour les commerces
Un bon point pour les commerces du village, la boulangerie, le PMU, l’épicerie rouverte en octobre 2024 après un an de fermeture et surtout la pharmacie.
« On forme une bonne équipe avec les médecins », certifie Olivier Laurent, le pharmacien. « Jean-Paul et Gérald sont très sympas, et cela va dans l’intérêt du patient. Chacun joue son rôle. »
Un exemple : à son installation, Gérald Vieillepeau a demandé aux nouveaux patients de s’inscrire sur une liste pour obtenir un rendez-vous. Annick nous explique qu’elle a été rappelée puis reçue avec son mari Régis « pour faire connaissance ». Le couple d’Oizé se sent en confiance, s’en réjouit. « C’est bien ici », sourit Annick.
En revanche, pour les habitants d’Yvré, voir d’autres habitants débarquer dans leur maison de santé n’est pas forcément réjouissant. « C’est compliqué de les voir (les médecins, NDLR.) », regrette Josiane, qui ne peut plus marcher. « Quand on vieillit, il faut aller vite. »
« Je suis fière de tout ce que l’on fait »
La question d’un troisième médecin est balayée d’un revers de main par la maire, Catherine Donné. Deux médecins, « c’est assez pour Yvré ». « Mais pas assez pour le territoire », concède François Boussard, président de la ComCom Sud Sarthe et maire de Mansigné.
Ci-dessus le président de la communauté de communes, François Boussard et la maire adjointe d’Yvré-le-Pôlin, Claudine Picard.
Pas question donc de surenchérir et de créer de la compétition entre les collectivités. Il faudra donc trouver d’autres médecins dans le secteur pour désengorger ceux d’Yvré.
Ce sera encore aux maires de monter en première ligne, pour faire pression et tenter d’obtenir gain de cause. Car à Yvré-le-Pôlin, il y a une unanimité six mois après l’installation d’un second médecin : la commune le doit à l’action de son ancien maire.
Olivier Laurent, le pharmacien, ne s’y trompe pas : « C’est grâce à Christian Lelarge que tout ça a abouti. Ces deux médecins, c’est son héritage. »
« Je suis fière de tout ce que l’on fait », pétille la maire adjointe Claudine Picard, engagée depuis 2001, en nous parlant de tous les projets municipaux. Un autosatisfecit nécessaire. Pour un maire et son équipe, rares sont les bravos. Encore moins les mercis.
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