Quasiment tous ont préféré garder le silence jusqu’à maintenant. 55 ans plus tard, d’anciens élèves de l’institution Sainte-Marie de Flers (Orne), dont les services ont progressivement fermé à partir de 1999, se disent prêts à briser le silence.
« Les affaires de dérives sortent de tous les côtés, on l’a vu avec Bétharram par exemple, alors pourquoi ne pas partager ce que l’on a vécu », témoigne Pascal* en ce début du mois d’avril 2025, au cours d’un entretien exclusif accordé à L’Orne Combattante/actu.fr.
« Lorsque l’on se retrouvait avec lui, le piège se refermait »
Les faits reprochés visent tous un même nom. Celui de « frère Louis-Marie Chesnel », présent à l’institution Sainte-Marie entre 1964 et 1992. « Il occupait plusieurs rôles au sein de l’école : à la fois responsable des pensionnaires, surveillant et entraîneur de basket », se souvient Gérard*.
Membre de la communauté des Frères de Ploërmel, le « frère Louis-Marie » est décédé en 1997. Sa disparition n’efface pas les souvenirs. « Lorsque l’on se retrouvait avec lui à l’intérieur de l’école, le piège se refermait », se souvient Gérard, scolarisé par deux fois à l’institution Sainte-Marie, alors réservée aux garçons.
J’y étais élève pensionnaire une première fois en 1968, et puis on a été renvoyé chez nous suite aux évènements du mois de mai. Je suis revenu à Sainte-Marie entre 1970 et 1971.
Un parcours scolaire saccadé, mais marqué par « les abus d’un homme intouchable de par son statut ». Dès son entrée à Sainte-Marie, Gérard affirme avoir été victime de « quelques attouchements ». « On recevait des punitions lourdes parfois, mais le petit Louis comme on le surnommait, n’hésitait pas à aller plus loin. »
Des dérives « à l’abri des regards » qui « passent sous silence »
« À l’époque, on pensait que c’était normal, ou en tout cas que cela faisait partie de l’éducation. Si cela se déroulait aujourd’hui, on pourrait être entendus », estime Pascal, élève de Sainte-Marie à partir de 1970.
Parce qu’à l’époque, les faits se déroulent « à l’abri des regards, et passent sous silence ». Si Gérard évoque « des caresses sur le ventre, et ailleurs, pour faire passer le mal de ventre », Pascal fait état de « pulsions masculines ».
Un jour, il m’a attrapé pour m’emmener à l’arrière de l’étude, où il vendait des bonbons aux élèves. J’ai compris qu’il voulait jeter son dévolu sur moi.
Mais ce jour-là, alors qu’il est âgé de 10 ans, Pascal ne se laisse pas faire. « Je me suis débattu et je suis parti de l’école. Dans la foulée, j’ai été convoqué dans le bureau du directeur avec mes parents. J’ai commencé à parler d’attouchements et de tabassage, mais on m’a répondu que je fabulais. »
Résultat de cet échange ou simple choix éducatif, « je ne le sais toujours pas » : les parents de Pascal décident de transférer leur fils au Petit Séminaire, une autre école de Flers aujourd’hui disparue.
Violences sexuelles : une omerta « d’environ 15 ans »
Contre « la déchirure de quitter mes copains », Pascal gagne une scolarité saine. « Avec ce nouvel environnement qui n’avait rien à voir, je suis passé à autre chose », témoigne aujourd’hui le sexagénaire. Seulement les affaires similaires dont s’emparent les médias font remonter ses souvenirs enfouis…
Autant d’années après, je n’attends rien, si ce n’est que la parole se libère, parce que je sais que l’on était plusieurs concernés.
« Bien sûr que l’on est beaucoup à y être passés, mais sur le moment, on ne le savait pas, parce qu’on ne voulait pas dire aux autres ce que l’on avait subi », complète Gérard. Une omerta qui dure pendant « environ 15 ans », avant de prendre un nouveau tournant.
« J’ai revu plusieurs anciens camarades de Sainte-Marie, et on s’est parlé. Là, on a appris que presque tout le monde avait été victime de ces gestes de la part de frère Louis. » Un constat qui change la donne : « on se sent moins seuls et enfin entendus », souffle Gérard.
Libérer la parole d’autres victimes
Plus de 50 ans après, Pascal et Gérard « pensent encore régulièrement » à leurs années à Sainte-Marie. « Cela m’a beaucoup perturbé dans ma vie d’homme », insiste l’un des deux. Dans une société où « ces dérives sont plus écoutées », ils espèrent un sursaut de la part des victimes.
Pour moi, il n’y a plus rien de divin : je n’y crois plus. Est-ce que les dérives sont également présentes dans les autres religions ?
Désormais bien intégrés socialement, les deux hommes n’excluent pas que certains de leurs choix de vie aient été marqués par « les agissements du petit Louis ». « Ce genre de choses, on ne peut pas oublier et il n’y a pas de pardon possible. » En parler permet déjà de soulager un poids intérieur.
*prénoms d’emprunt
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